Déclaration de l’Avril Autochtone – Campement Terre libre, 2021

 

Il y a 520 ans, l’invasion européenne de nos territoires traditionnels a décimé des millions d’habitants premiers et a fait disparaître des milliers de peuples, de cultures et de langues autochtones. Un génocide qui est l’une des calamités les plus tragiques jamais connues dans l’histoire de l’humanité.

Pour les colonisateurs et leurs descendants, cependant, le projet de mort fut considéré comme une réussite, les meurtriers étant récompensés avec l’occupation de nos terres et territoires. Depuis lors, nous avons été victimes de pillage, de dépossession, de destruction, de violence, de préjugés, de discrimination, de racisme, bref, de politiques et de pratiques ethnocidaires et génocidaires.

Dans toutes les phases de l’histoire du Brésil, la politique indigéniste, accompagnant le processus continu de métamorphose du capitalisme, a servi à nous éteindre physiquement ou culturellement, par le biais de l’assimilation et de l’intégration, des expéditions de “chasse aux Indiens”, des guerres forgées, des déplacements, du régime civilo-militaire, de l’expulsion de nos territoires, des persécutions, des assassinats et des massacres.

La Constitution fédérale de 1988 a mis fin à cette histoire écrite dans le sang de nos ancêtres. Après d’intenses mobilisations et luttes de la part de nos peuples et de nos dirigeants, la loi principale du Brésil a fini par reconnaître que le pays est divers, multiethnique et multiculturel, consacrant notre droit d’exister en tant que parties de l’État, en autonomie et en maintenant notre identité et nos différences. La Constitution a ainsi reconnu les peuples, nos coutumes, nos langues, nos croyances, nos traditions et notre droit aux terres que nous occupons traditionnellement. Ce droit est originel, inné, congénital, c’est-à-dire qu’il trouve son origine avant la constitution de l’État national. Grâce à ces reconnaissances, nos peuples ont obtenu le droit à des politiques publiques différenciées, telles que la délimitation et la protection des terres, l’éducation scolaire autochtone et les soins de santé, par le biais du sous-système actuellement géré par le Secrétariat spécial de la santé autochtone (SESAI) et les Districts spéciaux de la santé autochtone (DSEI).

Cependant, l’État brésilien, ses élites et les gouvernements successifs nous ont toujours traités comme des obstacles à leurs projets de développement, d’occupation et de mort. Cela explique pourquoi l’État ne s’est jamais structuré pour respecter et concrétiser les principes constitutionnels.

Durant la période démocratique du Brésil, et jusqu’à la rupture institutionnelle du coup d’État de 2016, nous avons obtenu, toujours en luttant, quelques avancées comme la délimitation des Terres Autochtones, la participation aux instances de délibération et de contrôle social des politiques nous concernant, dont la Commission nationale de politique autochtone (CNPI) est la traduction la plus aboutie ; la création du SESAI ; l’élaboration et la promulgation de la Politique nationale de gestion territoriale et environnementale des Terres Autochtones (PNGATI) et la non-viabilité des initiatives législatives anti-autochtones telles que la PEC 215 et la PL pour l’exploitation minière en Terres Autochtones.

Avec l’élection de l’actuel président, Jair Bolsonaro, nos peuples sont une fois de plus la cible d’un projet de mort qui, comme à l’époque de l’invasion coloniale européenne, vise à nous usurper, à nous évincer et à nous chasser de nos territoires. Ce projet est en faveur de l’empire du capital : l’agronégoce, l’exploitation minière, l’élevage de bétail, l’exploitation forestière et tant d’autres façons de détruire la Mère Nature, avec laquelle nous courons le risque de mourir ensemble, physiquement et/ou culturellement, puisque nous en faisons partie.

Cette politique, que nous avons dénoncée à plusieurs reprises comme génocidaire et écocidaire, a trouvé dans la pandémie de Covid-19 un terrain fertile pour ” faire passer la pilule “, ce qui a conduit à une augmentation de la violence et des conflits, y compris entre proches, conflits alimentés par le gouvernement lui-même afin de diviser, affaiblir et démobiliser nos peuples, organisations et leaderships dans la lutte permanente pour défendre et faire respecter les droits fondamentaux.

 

Les virus qui nous tuent,!

 

Nous dénonçons la campagne diffamatoire d’intimidation et de criminalisation promue par les membres du gouvernement actuel contre notre mouvement et nos dirigeants. La négligence et le mépris de cette politique haineuse et raciste pratiquée contre nos peuples sont encore plus évidents dans ce contexte de pandémie.

Le gouvernement fédéral est le principal agent transmetteur de la Covid-19 parmi les peuples autochtones. En l’absence de politiques efficaces pour faire face à la pandémie, nous affirmons que le gouvernement Bolsonaro a négligé son obligation de protéger les travailleurs et les usagers du sous-système de santé autochtone et, de cette manière, a favorisé l’entrée du virus dans divers territoires. Nous soulignons qu’il est de l’obligation de l’organisme gestionnaire, le Secrétariat Spécial pour la Santé autochtone (SESAI), de fournir les produits, la formation et les protocoles appropriés pour la sécurité de ses travailleurs et utilisateurs.

Avec des discours chargés de racisme et de haine, Bolsonaro stimule la violence contre nos communautés et paralyse les actions de l’État qui devrait promouvoir l’assistance, la protection et la garantie des droits. Il tente de saisir “l’opportunité” de cette crise pour faire avancer une série de décrets, d’ordonnances, d’instructions normatives, de mesures provisoires et de projets de loi qui tentent de légaliser les crimes et de diminuer les droits constitutionnels des peuples autochtones.

La politique génocidaire de Bolsonaro pendant la pandémie de Covid-19 est renforcée par des actions répétées de réfutation du vaccin, qui est la principale arme contre le virus, et par la négligence dans la gestion de la campagne de vaccination. La volonté du gouvernement de ne vacciner que les autochtones vivant dans des villages situés sur des terres ratifiées est une autre action violente puisqu’elle exclut les autochtones vivant dans des zones urbaines, des territoires repris et des Terres Autochtones en cours de démarcation.

Avec cette décision, l’obscurantisme, l’ignorance et l’autoritarisme, qui marquent la dictature odieuse du gouvernement de Jair Bolsonaro, se traduisent par un plan de mort contre les peuples autochtones du Brésil, puisque le plan de vaccination exclut 42,3% d’une population estimée à 896 900 par le recensement démographique réalisé par l’IBGE, en 2010. Comme si cela ne suffisait pas, des secteurs alliés, des membres du gouvernement et Bolsonaro lui-même ont diffusé d’innombrables désinformations et mensonges parmi les communautés autochtones, incitant de nombreuses personnes à rejeter le vaccin contre le virus du Covid-19.

 

Nous avons décidé de ne pas mourir !

 

Face au scénario de violence qui nous encercle et aux nombreuses vies perdues tout au long de la pandémie, nous, l’Articulation des peuples autochtones du Brésil (APIB), ainsi que toutes nos organisations de base, avons renforcé notre engagement à lutter pour la vie de nos peuples.

Tout au long de la pandémie, nous avons réinventé nos mobilisations en ligne et renouvelé nos stratégies de lutte. Nous avons créé le plan d’urgence autochtone pour surmonter les obstacles sanitaires dans des centaines de territoires. Nous avons assuré la sécurité alimentaire de plus de 10 000 familles. Nous avons distribué plus de 300 000 équipements de sécurité sanitaire, soutenant ainsi les équipes sanitaires autochtones dans tout le pays.   Nous avons obtenu la reconnaissance du Tribunal Fédéral Supérieur d’une manière sans précédent, qui a admis l’APIB en tant qu’entité pouvant déposer des actions directes devant la principale cour de justice du pays et nous avons remporté une victoire avec l’ADPF 709, qui oblige le gouvernement fédéral à adopter des mesures pour protéger les peuples autochtones.

La pandémie n’est pas terminée et la violence reste intense. Nous devons être unis et mobilisés. C’est dans ce sens que nous de l’APIB, avec nos organisations de base, appelons à la 17ème Rencontre Terra Livre 2021, pour renforcer les jours de lutte de l’Avril Autochtone.

Après le pire mois de mars de nos vies, nous apporterons en avril la plus grande mobilisation de nos luttes ! Nous avons vu plus de 1000 de nos concitoyens succomber à la pandémie de covid-19 et nous ressentons la douleur de la perte de nos aînés. Mais nous, les peuples autochtones, avons aussi la force de nos ancêtres à nos côtés.

Peuples autochtones, ceci est un appel à notre unité. Nous devons être organisés et mobilisés pour la vaccination de toutes et de tous, pour la garantie de nos droits fondamentaux, notamment notre droit territorial brutalement massacré par ce gouvernement néo-fasciste, et pour le bien vivre de notre Terre Mère.

PLUS JAMAIS DE BRÉSIL SANS NOUS ! C’est une déclaration que nous renforçons année après année. Nous sommes dans les réseaux, les villages, les universités, les villes, les mairies, les chambres législatives fédérales, des Etats et municipales et nous continuerons à lutter contre le racisme et la violence qui opprime et tue.

Dans un monde malade et face à un projet de mort, notre combat reste celui de la vie, contre tous les virus qui nous tuent!

Pour la vie et la continuité historique de nos peuples, “Dites au peuple d’avancer”.

Notre combat est toujours pour la vie, pas seulement contre un virus!

 

Brésil, le 5 avril 2021

APIB – Articulation des peuples autochtones du Brésil

 

Les organisations régionales de base de l’APIB :

 

  • APOINME – Articulation des peuples autochtones du Nord-Est, de Minas Gerais et d’Espírito Santo
  • ARPIN SUDESTE – Articulation des peuples autochtones du Sud-Est
  • ARPINSUL – Articulation des peuples autochtones du Sud
  • ATY GUASU – Grande Assemblée du peuple Guarani
  • Commission Guarani Yvyrupa
  • Conseil du peuple Terena
  • COIAB – Coordination des organisations autochtones de l’Amazonie brésilienne
  • MNI – Mobilisation nationale autochtone